I. Introduction
1. Le présent rapport, qui couvre la période allant de janvier à décembre 2017, est soumis en application de la résolution 2106 (2013), dans laquelle le Conseil de sécurité m’a prié de lui présenter, tous les ans, des rapports sur la mise en oeuvre de ses résolutions 1820 (2008), 1888 (2009) et 1960 (2010), et de lui recommander des mesures stratégiques. La période considérée a été marquée par la libération de territoires et, dans son sillage, celle de nombreuses femmes et filles détenues par des groupes armés ou terroristes, ou leur fuite. Ce nouveau contexte a rendu d’autant plus urgente la lutte contre la stigmatisation associée aux violences sexuelles qui, quand elle n’est pas fatale, peut bouleverser à jamais la vie des victimes de tels actes et des enfants nés d’un viol. Il souligne par ailleurs l’importance de l’appui à la réinsertion socioéconomique visant à rétablir la cohésion des communautés après une guerre. Dans le contexte de la crise des migrations de masse, les violences sexuelles ont continué de provoquer des déplacements forcés et de dissuader des populations déracinées de prendre le chemin du retour. Il est également arrivé, au cours de l’année considérée, que des belligérants se livrent à des violences sexuelles contre des groupes persécutés pour leur identité religieuse ou ethnique. Lorsqu’elles participaient d’une lutte pour le contrôle des terres et des ressources, les violences sexuelles liées aux conflits ont gravement mis à mal la sécurité physique et économique de femmes déplacées, vivant en milieu rural ou issues de minorités.
2. Dans le présent rapport, l’expression « violences sexuelles liées aux conflits » recouvre des actes tels que le viol, l’esclavage sexuel et la prostitution, la grossesse, l’avortement, la stérilisation et le mariage forcés, ainsi que toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, perpétrés contre des femmes, des hommes, des filles ou des garçons, et ayant un lien direct ou indirect avec un conflit. Ce lien peut tenir au profil de l’auteur – souvent rattaché à un groupe armé, étatique ou non, notamment une entité terroriste –, au profil de la victime – qui, souvent, appartient ou est soupçonnée d’appartenir à une minorité politique, ethnique ou religieuse, ou qui est prise pour cible en raison de son orientation sexuelle ou de son identité de genre, réelle ou supposée –, au climat d’impunité – généralement associé à l’effondrement de l’État –, aux répercussions transfrontières – comme les déplacements de population et la traite des personnes – ou aux violations d’accords de cessez-le-feu. Cette expression inclut également la traite d’êtres humains axée sur les violences sexuelles ou l’exploitation sexuelle.
3. Même si de nombreuses régions sont touchées par les violences sexuelles liées aux conflits, le présent rapport porte uniquement sur 19 pays disposant d’informations vérifiables. Il convient de le lire en tenant compte de mes huit rapports précédents sur le sujet, l’ensemble des informations qu’ils contiennent indiquant les raisons qui ont présidé à l’inscription de 47 parties sur la liste (voir annexe). Ces parties comptent une majorité d’acteurs non étatiques, parmi lesquels sept ont été désignés comme groupes terroristes et inscrits sur la Liste relative aux sanctions contre l’EIIL (Daech) et Al-Qaida. Les armées et les forces de police nationales qui sont inscrites sur la liste sont tenues de coopérer avec ma Représentante spéciale chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit en vue de définir avec elle des engagements et des plans d’action concrets visant à mettre un terme aux violations selon un calendrier précis, ce que plusieurs d’entre elles ont fait depuis 2010. Pour être radiées de la liste, les parties doivent mettre un terme aux violations et honorer pleinement leurs engagements.
4. Sauf indication contraire, le présent rapport est fondé sur des informations vérifiées par l’Organisation des Nations Unies. La présence, sur le terrain, de conseillers pour la protection des femmes chargés de mettre en place les dispositifs de suivi, d’analyse et de communication des informations se rapportant à la lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits a contribué à accroître la quantité et la qualité des informations. Actuellement, 21 conseillers sont déployés dans sept missions. Toutes les missions de maintien de la paix investies d’un mandat de protection des civils ont mis en place un dispositif de suivi et intégré dans leur structure de protection au sens large des indicateurs relatifs aux violences sexuelles établis à des fins d’alerte rapide. Deux missions politiques spéciales ont également mis en place ce type de dispositif.
5. Les autorités nationales et la société civile collaborent avec l’ONU en vue de prévenir et de combattre les violences sexuelles liées aux conflits dans les pays examinés dans le présent rapport. Cette coopération porte notamment sur la mise en place de réformes juridiques, de programmes d’assistance juridique, de programmes destinés à assurer la sécurité des populations locales, de services spécialisés pour les victimes et les témoins, de campagnes de sensibilisation et de programmes de relèvement. La Cellule mondiale de coordination des activités policières, judiciaires et pénitentiaires de promotion de l’état de droit au lendemain de conflits et d’autres crises a permis de coordonner et de consolider l’appui apporté aux programmes d’aide aux pays en matière de justice et d’état de droit, et les missions de maintien de la paix continuent de s’acquitter de leur mandat concernant la protection des civils, la prévention des violences sexuelles liées aux conflits étant érigée au rang de priorité.
6. Il est indispensable de renforcer les capacités des institutions nationales pour contraindre les auteurs de violences sexuelles à répondre de leurs actes et empêcher, grâce à la prévention et à la dissuasion, que de tels crimes ne soient perpétrés à l’avenir. À cet égard, l’Équipe d’experts de l’état de droit et des questions touchant les violences sexuelles commises en période de conflit continue, conformément au mandat que le Conseil de sécurité lui a confié dans sa résolution 1888 (2009), d’oeuvrer sur le terrain, en étroite collaboration avec les gouvernements et les missions et équipes de pays des Nations Unies, pour appuyer les activités d’enquête, de poursuite et de jugement dans les systèmes civil et militaire, de réforme législative, de protection des victimes et des témoins ainsi que de réparation. L’Équipe d’experts, qui fait partie du Bureau de ma Représentante spéciale, est composée d’experts du Département des opérations de maintien de la paix, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et du Programme des Nations Unies pour le développement, appuyés par un groupe de spécialistes de différents domaines. À ce jour, elle est intervenue en Colombie, en Côte d’Ivoire, en Guinée, en Iraq, au Libéria, au Mali, au Myanmar, au Nigéria, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, en Somalie, au Soudan et au Soudan du Sud ; elle a collaboré avec des organisations régionales comme la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, la Ligue des États arabes et l’Union africaine. Pendant la période considérée, l’appui que l’Équipe a prêté aux autorités nationales et à l’ONU en divers endroits a contribué aux progrès des États Membres concernés, notamment le jugement d’actes de viol sous la qualification de crime de guerre et de crime contre l’humanité en République démocratique du Congo, la création d’une unité de police spécialement chargée des violences sexuelles en République centrafricaine, la mise au point de stratégies relatives aux enquêtes et aux poursuites concernant les violences sexuelles commises par des membres de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL-Daech) en Iraq, et l’élaboration, avec les forces armées du Soudan du Sud, d’un plan d’action visant à garantir que les auteurs de violences sexuelles répondent de leurs actes. En Guinée, l’Équipe d’experts a continué d’appuyer l’enquête sur les crimes sexuels commis à Conakry en septembre 2009, qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre l’impunité menée, au niveau national, avec l’appui technique de la communauté internationale. Depuis lors, les autorités guinéennes ont mis en examen 17 responsables militaires de haut rang et procédé à 450 auditions, au cours desquelles plus de 200 victimes et témoins de violences sexuelles ont livré leur témoignage. Par ailleurs, la coopération judiciaire accrue avec les pays voisins a permis l’arrestation et l’extradition d’auteurs présumés de violences sexuelles. L’Équipe d’experts s’est engagée à appuyer la préparation des procès, notamment en ce qui concerne la protection des victimes et des témoins, l’élaboration d’une stratégie en matière de réparations, la sensibilisation, la communication et la mobilisation de ressources. Elle prouve, par son travail, que les autorités nationales, si elles font preuve d’une réelle volonté politique et bénéficient d’une assistance spécialisée, peuvent amener les auteurs de violences sexuelles liées aux conflits à répondre de leurs actes et rendre justice à leurs victimes.
7. Formé de 14 entités des Nations Unies et présidé par ma Représentante spéciale, le réseau de la Campagne des Nations Unies contre la violence sexuelle en temps de conflit a vocation à renforcer les activités de prévention et les interventions grâce à une approche coordonnée, cohérente et globale. En 2017, le fonds d’affectation spéciale pluripartenaires de la Campagne a permis de financer l’appui à un projet pour les enfants nés d’un viol en Iraq et au Système de gestion de l’information sur la violence sexiste, fruit d’une initiative interinstitutions permettant aux acteurs humanitaires de collecter, de stocker, d’analyser et d’échanger des données en toute sécurité. En 2017, le réseau a continué de financer les activités du conseiller pour la protection des femmes en Iraq et a réussi à faire inscrire ce poste au budget ordinaire de la Mission. Il a en outre financé l’intervention, au Mali, d’un consultant chargé d’appuyer l’élaboration d’une stratégie nationale sur la violence sexiste, notamment les violences sexuelles liées aux conflits. Le réseau a continué de financer un programme conjoint destiné à remédier aux séquelles des violences sexuelles commises en temps de conflit en Bosnie-Herzégovine, ainsi que cinq projets au Moyen-Orient et en Afrique du Nord visant principalement à soutenir les victimes syriennes et iraquiennes, dont celles qui se sont réfugiées au Liban et en Jordanie. Le projet mené en Jordanie a contribué à l’adoption d’un plan d’action national pour les femmes et la paix et la sécurité, lequel fournit un cadre de protection pour les réfugiées ayant subi des violences sexuelles. En 2017, le réseau a organisé des missions conjointes d’appui technique au Bangladesh, en Bosnie-Herzégovine, en Iraq, en Jordanie, au Liban et en République centrafricaine afin d’améliorer les mesures prises en réponse aux violences sexuelles liées aux conflits.
8. Conscient que des actes d’exploitation et d’atteintes sexuelles ont été commis au sein de l’ONU, je me suis engagé à améliorer notablement la façon dont l’Organisation s’emploie à empêcher que son personnel ne se livre à de tels comportements, et les mesures qu’elle prend pour y répondre, le cas échéant. Dans mon rapport sur les dispositions spéciales visant à prévenir l’exploitation et les atteintes sexuelles (A/72/751), j’ai fait un point sur les progrès accomplis dans la mise en oeuvre de cette nouvelle stratégie, qui consiste notamment, sous la direction de la Coordonnatrice spéciale chargée d’améliorer les moyens d’action de l’Organisation des Nations Unies face à l’exploitation et aux atteintes sexuelles, à nommer un défenseur des droits des victimes, à améliorer la transparence et l’échange d’informations et à adopter un pacte facultatif, dont les 89 États Membres signataires s’engagent à traduire dans les faits le principe de tolérance zéro à l’égard de l’exploitation et des atteintes sexuelles.