Par Christopher Tidey et Ashley Gilbertson
Quasiment invisibles parmi les milliers de réfugiés qui arrivent jour après jour en Europe dans l’espoir d’y trouver la sécurité et une vie meilleure, les enfants qui arrivent sans parents ou sans aucun autre adulte pour les accompagner forment un groupe spécial – les mineurs non accompagnés – dont chaque membre a une histoire particulière et besoin d’une aide spécifique. Nous vous présentons quelques-uns d’entre eux.
PRESEVO, Serbie, 13 octobre 2015 – Le prénom de ce garçon qui essaye de parler au milieu de ses sanglots est difficile à comprendre. Désorienté par les milliers de gens qui se pressent autour de lui dans la rue, il est paralysé face aux policiers et aux employés de l’UNICEF qui essayent de communiquer avec lui dans une langue qu’il ne comprend pas. Sa famille a disparu et il a peur.
« Hassan » arrive-t-il finalement à prononcer en se désignant du doigt. Son nom est Hassan. Il lève les deux mains pour indiquer son âge. Hassan a dix ans.
Un interprète parlant arabe se joint au groupe pour apporter son aide, et de nouveaux renseignements sont maintenant rapidement obtenus. Hassan vient de Syrie et a été séparé de son père dans l’énorme foule qui se presse pour entrer dans le centre de réception des réfugiés de Presevo en Serbie, après avoir traversé la frontière de l’ex-République yougoslave de Macédoine.
Les policiers et les travailleurs humanitaires parviennent rapidement à retrouver le père d’Hassan de l’autre côté du portail qui donne accès au centre. Ils sont désormais réunis et bien que détresse et peur se lisent encore sur son visage, Hassan est maintenant en sécurité en compagnie de son père.
Des scènes similaires se reproduisent chaque jour alors que des milliers d’enfants réfugiés et migrants franchissent les frontières européennes pour fuir la violence des conflits, les persécutions et les privations qu’ils subissent dans leurs pays. La plupart des enfants entraînés dans la crise qui frappe l’Europe se déplacent en compagnie de leurs parents. Cependant, nombreux sont ceux qui, pour une raison ou une autre, accomplissent ce voyage totalement, ou en partie, privés de la protection et de l’aide directes d’un parent ou d’un adulte qui s’occupera d’eux.
Il est possible de ne pas considérer ces enfants comme « seuls » dans le sens strict du mot – on peut trouver par exemple des groupes d’adolescents qui se déplacent ensemble, ou alors un garçon de 10 ans comme Hassan peut se retrouver séparé de son père dans le chaos d’une frontière mais le retrouver peu après – mais ces enfants sont néanmoins vulnérables et exposés à un risque accru de violation de leurs droits.
Dans des situations comme celle de Hassan, il est facile d’identifier la raison pour laquelle un enfant est séparé ou non accompagné d’adultes, et la solution est aisée. Les jeunes enfants sont exposés à des risques plus importants d’être séparés de leurs parents quand ils sont pris au cours de leurs déplacements dans les énormes foules– qui comptent souvent des milliers de personnes – qui se forment au point de passage des frontières et dans les centres de réception pour les réfugiés, là où le flot des migrants est obligé de se resserrer, créant congestion et chaos.
Mais il existe des cas beaucoup plus difficiles.
L’odyssée de deux frères
Le 28 septembre, Ali Abdul-Halim, 17ans, et son frère Ahmad, 15 ans, ont débarqué d’un bateau sur l’île grecque de Lesbos en compagnie d’autres réfugiés originaires de Syrie, d’Iraq et d’Afghanistan. Tous les enfants à bord étaient avec leurs parents – tous, sauf Ali et Ahmad. Les deux frères, techniquement considérés comme des mineurs non accompagnés, avaient quitté leur village natal des environs de Baalbek au Liban pour passer en Turquie, et ensuite en Grèce, pendant que leurs parents restaient sur place.
La famille des deux enfants les a envoyés vers l’Europe en raison de l’insécurité créée dans leur communauté par la présence de groupes armés. La famille était aussi impliquée dans une vendetta qui menaçait directement la vie d’Ali et d’Ahmad. « Il n’y a aucune sécurité. Il n’y a pas de travail. Il y a des morts tous les jours, » raconte Ali.
À un moment pendant leur traversée, le bateau a commencé à prendre l’eau et ses occupants ont eu peur qu’il ne coule. Pendant ces moments dramatiques, les pensées d’Ali se sont tournées vers sa famille. « J’ai pensé avant tout à ma mère, dit-il. C’était très, très, très angoissant et pénible, parce que nous pensions que nous risquions de mourir à tout moment, parce que nous n’avons jamais appris à nager. Ce n’était pas un vrai bateau, c’était simplement un bateau pneumatique qui tanguait continuellement et tellement chargé qu’il aurait pu chavirer à n’importe quel instant. »
Après avoir été jeté sur la côte rocheuse de Lesbos, Ali a téléphoné à ses parents pour leur transmettre un bref, mais crucial message, « Allô ! Je vous appelle pour vous rassurer. Je suis parvenu en Grèce. »
Ali et Ahmad veulent continuer leur voyage et traverser la Grèce et d’autres pays du Sud-est de l’Europe en espérant arriver finalement en Allemagne. « J’aime l’Allemagne, dit Ali. Je crois que c’est là que se trouve l’avenir. J’ai des amis là-bas. Ils m’ont tous dit qu’il y a du travail et que je pourrais vivre avec dignité. »
Ali a maintenant pris la responsabilité de veiller sur son frère cadet pour ce voyage et pour la suite – son rôle dans la famille est désormais celui d’un adulte qui travaille et qui s’occupe de son jeune frère, cela en dépit du fait qu’à 17 ans, Ali est encore lui-même en théorie un enfant. En réalité il a travaillé à plein temps comme coiffeur depuis qu’il a abandonné l’école au cours de sa neuvième année de scolarité.
« Mon rêve est de devenir un homme, un homme honorable qui a de l’argent et qui peut aider le reste du monde en commençant par sa famille, » explique Ali.
Dans la plupart des situations de crise humanitaire, les enfants identifiés comme séparés de leurs parents ou non accompagnés font habituellement l’objet de soins spéciaux et d’une attention particulière de la part des organisations d’aide humanitaire qui s’efforcent d’assurer leur sécurité.
Mais dans le contexte de la crise des réfugiés et des migrants actuelle, des enfants comme Ali et Ahmad n’ont pas l’intention d’interrompre leur voyage sous prétexte qu’ils sont mineurs, ce qui rend difficile la tâche des groupes humanitaires qui essayent de leur fournir protection et assistance. Ces garçons feront tout ce qui est en leur pouvoir pour atteindre leur destination finale de manière indépendante, comptant sur eux-mêmes et s’entraidant pour y parvenir.
Mais tous les enfants qui traversent ainsi les frontières de l’Europe ne peuvent pas compter sur l’aide d’un frère ou d’une sœur.
L’espoir d’être réuni avec sa famille
Udai, 13 ans, arrive en Serbie en provenance de Syrie et sans sa famille.
Après avoir fui les violences dans les campagnes près de Damas, Udai, ses parents, son jeune frère et sa jeune sœur sont passés en Turquie il y a deux ans. Ses parents se sont vite rendu compte qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour payer le passeur qui devait mettre les cinq membres de la famille sur un bateau pour la Grèce. Au bout d’un an, ses parents ont pris la difficile décision de laisser Udai avec des amis en Turquie pendant que le reste de la famille partait.
La famille d’Udai est arrivée en Allemagne après plusieurs mois de voyage et lui a envoyé de l’argent pour qu’il puisse les rejoindre à son tour en prenant le même chemin seul par lui-même.
Voyageant avec d’autres réfugiés syriens, Udai est parvenu jusqu’à Belgrade à la mi-août avant que des travailleurs sociaux ne s’aperçoivent qu’il était tout seul. Il a été amené à un centre de réception de réfugiés organisé dans la ville serbe de Banja Koviljaca où il restera jusqu’à ce que sa demande de bénéficier du droit d’asile en Allemagne soit traitée et qu’il puisse être réuni avec sa famille. « Quand ils ont vu que j’étais tout seul, ils m’ont amené ici, » explique-t-il.
Udai ne manifeste en apparence aucun signe qu’il a dû passer des mois à se débrouiller tout seul comme réfugié à 13 ans. Il se montre calme, assuré et pragmatique face à sa situation. Il dit que sa famille lui manque, mais qu’il comprend qu’il est plus en sécurité au centre de réception des réfugiés sous la protection des travailleurs sociaux qu’il ne le serait sur la route.
Le centre de réception des réfugiés où se trouve Udai a un dortoir dans lequel il partage une chambre avec un garçon du Sri Lanka plus âgé que lui. On s’occupe bien de lui. « Le matin, j’ai un petit déjeuner, après je vais à l’école, explique Udai. J’apprends le Serbe et je vais en classe avec des garçons et des filles. Ce que je suis activement, c’est les classes de sport et d’activités artistiques. J’aime le basketball. »
Udai est en contact régulier par téléphone avec ses parents, spécialement avec sa mère qui se fait constamment du souci et qui désire désespérément qu’il puisse rejoindre la famille. Les autorités serbes et allemandes, également en contact avec la famille concernant le cas d’Udai, s’efforcent de l’aider à retrouver son foyer.
Un défi durable
Il n’existe pas d’approche uniforme de venir en aide aux enfants séparés de leurs parents ou non accompagnés qui se déplacent ainsi à travers l’Europe.
Chaque cas est différent et chacun de ces enfants a des besoins et des vulnérabilités qui lui sont particulières. Hassan, l’enfant de dix ans découvert seul au milieu d’une pile de bagages à Presevo, avait besoin d’être immédiatement mis en sécurité en attendant que son père soit retrouvé. À 17 ans, Ali et son frère de 15 ans auraient protesté à l’idée d’être retenus dans leurs efforts pour atteindre l’Allemagne parce qu’ils ne sont pas techniquement des adultes. Quant à Udai, il courait de très grands risques en voyageant seul.
Les déplacements d’enfants séparés de leurs parents ou non accompagnés constituent essentiellement une crise dans la crise. Bien que des solutions évidentes soient rares, ces enfants vont continuer à arriver en Europe pour y chercher refuge et une vie meilleure. Trouver des moyens de leur venir en aide est un défi sur lequel nous devons continuer à travailler.